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Be the bird, Be the key
28 mars 2014

Douce comme une colline

La ville est triste, la pluie fine, insidieuse. Je n'aime pas les bords parisiens, ceux qui frôlent le periph'. Les immeubles sont bas, les toits plats. Les murs aussi gris que la pluie. Pas de fleurs ici, des pas de porte aux stores défraîchis, des regards de travers. C'est un début d'après-midi aussi lumineux qu'une soirée d'hiver. Je me presse, je cherche, je me trompe d'adresse. Une voix lointaine à l'interphone me dit que ce n'est pas ici. Je suis en avance mais agacée, je me dis que ça commence mal, que je n'aurai pas le cocon de l'homme aux aiguilles, que je ne peux pas avoir de la chance deux fois. Je remonte une rue, une autre, je trouve mais ne suis pas sûre de moi. La porte métallique est close, muette. Mon ventre se tortille, lui aussi contrarié et apeuré.


Pas de parapluie, la pluie me rince, je m'en fous, je veux qu'elle me voie comme ça, trempée, énervée, qu'elle comprenne que j'en chie, que l'heure c'est l'heure, que la porte de son cabinet ne ressemble à rien, que quand on cogne ça résonne et que personne ne répond, que mon parcours est assez difficile comme ça, que ce n'est pas juste que la dame qui attende avec moi ait un ventre rond face à mon ventre vide et douloureux.
Elle arrive en courant. De loin elle s'excuse. Ses yeux bleus rayonnent, son regard est chaud, j'ai déjà tout oublié, j'ai compris, il avait raison, c'est d'elle dont j'ai besoin, dont mon ventre a besoin.


Elle me sourit, m'accueille tout doucement. Elle me pose des questions, les bonnes questions. Elle m'explique l'endométriose, le lien à la mère, la mère qui déborde, partout, et forcément, je craque. Elle me dit que donner la vie c'est aussi donner la mort. Qu'on ne peut pas tout maîtriser et surtout pas la mort de ceux qu'on aime. Qu'il faut lâcher prise. Ses paroles font écho à celles qu'il me répète si souvent, dans le creux de l'oreille, tu ne peux pas tout contrôler mais ça va aller, on y arrivera, et si tu n'y crois pas moi j'y crois pour toi, pour nous.
Elle voit l'eczéma sur mes mains, moi qui n'en ai jamais eu, et me dit que c'est bien, que tout ce qui est dehors n'est pas dedans et que si c'est là c'est qu'il fallait que ça sorte.
Ses mains gravitent sur mon corps et elle me parle, me fait parler. Je me sens libre de tout dire, ici nous ne sommes pas jugés. Elle est douce comme un colline, de cette douceur ronde et apaisante. Sa voix m'enrobe et je me laisse aller.

En sortant dans ce Paris gris je ne cours plus, je marche. Je vois les couleurs dans les vitrines, le vert tendre des feuilles naissantes, la devanture rouge de la quincaillerie, pas si défraîchie. Je l'appelle pour lui dire que ça va, que je l'aime. A l'autre bout du métropolitain, ma mère, mes questions, ses réponses, sa présence.

Aujourd'hui je me pose, j'oublie tout, elle m'a dit d'écouter mon corps, j'entends mon ventre qui s'exprime encore et encore, et qui se dit qu'il a enfin trouvé les bonnes personnes pour l'écouter.

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Commentaires
L
Que je suis heureuse de lire que tu aies fait une telle rencontre! Moi c'est ce genre de rencontre qui a tout débloqué en moi... Je ne peux que vous souhaiter la même chose, de tout cœur! Tendres bisous et merci pour ces magnifiques articles incroyablement poétiques! <3
C
Tout d'abord, je voulais te dire que tu écris formidablement bien ; il se dégage beaucoup de poésie ; ensuite, je voulais te souhaiter bon courage, j'ai lu ton article, très pudique sur le tragique évènement dont tu a été (vous avez) été victimes, et qui forcément me parle ; tu as trouvé un bon doc, c'est plus que primordial après avoir vécu le pire, qui a l'air douce et compréhensive, et j'espère sincèrement que vous serez comblés prochainement, bon courage
Be the bird, Be the key
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